Un événement récent a permis de se pencher sur les changements du marché du luxe prévus pour 2018, en s’intéressant à des facteurs tels que les difficultés financières de la génération Y, la nature de plus en plus «omnicanal» de l’expérience clientèle et l’importance croissante des données et de l’intelligence artificielle dans la construction des relations. Lors de la réunion d’octobre du Conseil sur l’expérience des clients de luxe, Milton Pedraza, PDG du Luxury Institute, a analysé l’état actuel du segment haut-de-gamme du marché et présenté les «Dix tendances du luxe pour 2018», ciblées sur l’importance des services au sein de l’industrie du luxe et la répartition des richesses entre les consommateurs du luxe.
Les principaux dirigeants des grandes marques de luxe, dont le retail de mode, les montres et bijoux, les textiles, les hôtels et résidences, les loisirs et médias, ainsi que des représentants des agences marketing axées sur les données et des sociétés de technologies innovantes, se sont répartis en petits groupes pour identifier les façons dont les marques peuvent compléter leurs offres de produits par une composante «services».
Leurs 10 conclusions sont les suivantes :
1. La croissance reste inégale pour les articles de luxe mais une progression solide perdure dans les services, notamment la santé et le bien-être, la beauté, les voyages et la technologie. L’essor des ventes sera limité pour des catégories comme les vêtements, les accessoires et les bijoux. Les vêtements sont un exemple de catégorie dont le prix ne fait que baisser. La capacité à produire un article original, qui permette d’appliquer un tarif élevé, est limitée lorsque des marques de mode éphémère comme Zara et H&M sont capables de produire rapidement une imitation à bas prix d’articles onéreux issus de maisons de luxe. Il s’agit d’alternatives attractives pour de nombreux membres de la génération Y aux budgets limités et pour des personnes faisant face à des contraintes financières. Des offres comme celles-ci n’ont peut-être pas la même qualité que des articles de marques plus prestigieuses mais elles en ont l’apparence et sont très largement accessibles.
Les bijoux constituent une autre catégorie d’articles ayant une faible opportunité de différenciation. Les montres pâtissent d’une faible demande car les gens n’en portent pas souvent, notamment les jeunes. Les membres de la génération Y sont trois fois plus nombreux que les consommateurs de 55 ans et plus à ne pas en posséder. En revanche, l’essor des services semble solide, les consommateurs de tous âges préférant acheter des expériences, plutôt que de posséder davantage de produits. Les baby-boomers ont tendance à réduire le nombre de leurs possessions et à s’en débarrasser alors que la génération Y est confrontée à la nécessité d’arbitrer ses achats.
2. La génération Y est bien plus nombreuse que les baby-boomers (92 millions contre 77 millions) mais leur pouvoir d’achat sera encore limité pendant quelques années. La jeune génération est confrontée à des niveaux exceptionnels d’endettement (prêts étudiants) et à des emplois mal payés et elle retarde le moment de fonder une famille. La génération Y ne refuse pas le luxe par choix mais plus par nécessité financière. Les prêts étudiants ont plus que doublé ces 10 dernières années, dépassant les 1 500 milliards de dollars de prêts en instance pour l’enseignement supérieur. Les remboursements occupent une part considérable des revenus disponibles des diplômés qui, l’année dernière, ont quitté l’école avec un endettement moyen de 37 172 dollars. De nombreux diplômés de l’université ont souscrit un prêt et se retrouvent, sans le vouloir, sous-employés en tant que barman ou à travailler à des postes aux salaires bien inférieurs à ce qui serait nécessaire pour les faire vivre confortablement. Il existe également une corrélation entre les mariages tardifs et des accumulations de richesses moins importantes, comme les biens immobiliers, l’investissement et des habitudes d’achat plus modérées.
3. Un transfert de richesses générationnelles surévalué va lentement se mettre en route et pourrait bien décevoir ceux qui comptent dessus. Wall Street prévoit depuis longtemps un transfert massif de 30 000 milliards de dollars d’actifs, des baby-boomers à leurs héritiers, au cours des prochaines décennies. La génération Y semble s’y préparer également : les personnes de moins de 35 ans prévoient en moyenne de partir à la retraite à 59 ans, soit six ans plus tôt que les baby-boomers qui prévoient de partir en moyenne à 65 ans. La génération Y ne veut peut-être pas faire trop de projets d’achats. Une étude récente de Natixis montre que 70 % des membres de la génération Y s’attendent à recevoir un gros héritage de leurs familles mais que seuls 40 % des parents baby-boomers pensent laisser un héritage à leurs enfants. Une partie de cette richesse pourrait manquer aux futurs rendements du marché et permettre de régler les coûts croissants des soins de santé pendant la vieillesse. Les difficultés économiques qui frappent actuellement la génération Y, ainsi que les incertitudes quant à savoir si maman et papa pourront les aider, met à mal l’actif net futur d’une grande partie de la génération Y.
4. Des baisses d’impôts pourraient intervenir mais ne vous attendez pas à de fortes retombées sur les dépenses de luxe. La plupart des contribuables pourraient profiter d’un certain allègement fiscal l’année prochaine si la Chambre des représentants et le Sénat américains adoptent des baisses d’impôts cet automne mais l’avantage le plus net reviendra au 1 % des revenus supérieurs. Une analyse des propositions du président Donald Trump par le Centre de la politique fiscale a montré que la charge fiscale sur les contribuables gagnant entre 150 000 dollars et 300 000 dollars pourrait en fait augmenter après l’élimination de déductions populaires, comme celles liées aux taxes nationales et locales. Les revenus après impôts exploseraient de 10,2 % pour les 0,1 % qui gagnent au moins 3 439 000 dollars mais n’augmenteraient que de 0,8 % en moyenne pour ceux qui gagnent entre 149 400 dollars et 216 800 dollars. Toute économie fiscale éventuelle pour ces consommateurs sera certainement engloutie par les endettements des cartes de crédit et du prêt auto, avec un faible solde restant pour des dépenses de luxe supplémentaires. Sur le marché des biens de luxe, les 5 % des clients les plus aisés génèrent 40 % des ventes, les 15 % médians en génèrent 30 % et les 80 % de la tranche basse représentent 30 % de plus. Avec peu d’avantages nets pour la plupart de ces groupes, il ne serait pas étonnant que les gains des dépenses de luxe globales laissent à désirer l’année prochaine.
5. Les sociétés de luxe mettent davantage l’accent sur les avantages émotionnels pour le consommateur et sont moins à cheval sur les fonctionnalités des produits. Par l’ingénierie inverse et des modes de fabrication flexibles, les biens standard ont globalement intégré les caractéristiques des biens de luxe. L’accent portera moins sur la fonctionnalité des articles que les consommateurs achètent et les marques de luxe feront plus d’efforts pour provoquer des bienfaits émotionnels. Il n’existe pas de méthode universelle pour créer du lien émotionnel avec les clients. Pour y parvenir, il faut raconter une histoire authentique et communiquer une identité de marque, en testant de manière rigoureuse et empirique ce qui résonne véritablement auprès de la clientèle
6. Pour ce qui est d’attirer les flux de clients désireux d’acheter du retail dans des lieux proposant une qualité d’expérience globale, les quartiers commerçants ou centres commerciaux rivalisent avec les boutiques traditionnelles. Le centre commercial doit, dans son ensemble, créer une expérience de choix ; ceux qui se trouvent à l’avant-garde du luxe proposent aux acheteurs des spas, des expositions d’art, de la musique et autres divertissements pour améliorer l’expérience d’achat. Le personnel de ces centres commerciaux, des voituriers aux vendeurs, propose un service courtois, utile et spécialisé pour créer un impact émotionnel positif. Les clients éventuels peuvent se rendre dans une boutique mais ils seront plus certainement attirés vers des sites de retail qui leur offrent des moments spéciaux tout au long de l’expérience d’achat.
7. L’expérience en boutique reçoit finalement l’attention qu’elle mérite quand il s’agit de former des personnes, de repenser l’expérience du client et d’améliorer la technologie et les systèmes de gestion des stocks et de merchandising. Le commerce électronique a représenté 11,7 % du total des ventes de retail l’année dernière et contribué pour 41,6 % à la croissance des ventes de retail en 2016, d’après le Département du commerce américain. L’essor des ventes en ligne semble avoir atteint un plateau, hors Amazon. Le taux de croissance de 14,3 % du commerce sur le Web au dernier trimestre 2016 a représenté la plus faible hausse en glissement annuel depuis le quatrième trimestre 2014. Les revenus d’Amazon ont progressé de 31,3 %, à 147 milliards de dollars, ce qui représente 37 % du total des ventes sur le Web, établi à 395 milliards de dollars en 2016. Étant donné que les rythmes de croissance sur Internet ralentissent encore, les marques de luxe vont ramener leur attention vers les boutiques, le plus souvent en repensant totalement l’espace, tout en investissant dans le personnel et la technologie pour optimiser l’expérience réelle.
8. Les sociétés vont de plus en plus homogénéiser leurs canaux de vente, entre expérience en ligne et en boutique. On assiste à une transformation numérique nécessaire sur tous les canaux car les sociétés s’aperçoivent que le consommateur n’agit pas de façon linéaire. Il peut effectuer des recherches sur des produits à un endroit, se procurer des tarifs à un autre, puis choisir d’acheter dans la boutique ou sur Internet. Il peut aussi acheter sur Internet et retourner l’article en magasin. Les marques doivent optimiser la technologie, afin d’être suffisamment agiles pour offrir à leur personnel en back-office et en première ligne ce dont ils ont besoin. Des canaux de vente homogénéisés vont bien au-delà d’un simple accès aux produits, que ce soit en boutique ou sur Internet. Les clients doivent pouvoir effectuer la transaction comme ils le souhaitent, sur n’importe quel canal proposé par la marque. L’année 2018 sera essentielle pour réaliser cet objectif.
9. Le recueil des données et la qualité de celles-ci deviennent primordiaux pour alimenter les initiatives d’intelligence artificielle. Les violations très médiatisées de données personnelles sensibles, comme le piratage d’Equifax, rendent les consommateurs sensibles à la protection des informations personnelles. Or, les organisations qui s’adaptent doivent continuer à recueillir et analyser les données des clients afin de créer des relations plus productives grâce aux outils d’analyse et à l’intelligence artificielle. L’équipe commerciale en première ligne doit avoir bien plus qu’un simple « petit carnet » pour noter les coordonnées des clients. Ce qui compte le plus, ce n’est pas tant l’algorithme, mais les données qui l’alimentent. Les données sont essentielles aux marques de luxe ; ne pas avoir de données à exploiter est un inconvénient majeur qui se transformera en menace pour votre existence.
10. Choisir, former et fidéliser des talents deviennent des compétences de plus en plus essentielles. Le recrutement et la sélection d’employés capables de développer l’activité n’est pas une question de chance. Ce sont des compétences de haute volée. Les sociétés les plus innovantes utilisent l’intelligence artificielle pour identifier les candidats adaptés et offrir une formation professionnelle et du coaching. Au lieu de proposer des cours sporadiques aux employés, les sociétés qui réussissent se transforment en universités qui enseignent des compétences sociales à leurs employés, notamment l’intelligence émotionnelle. Les résultats auprès de la clientèle et en termes de productivité s’en trouvent améliorés. L’idée est de créer une atmosphère dans laquelle les personnes se sentent prises en charge et un environnement dans lequel elles disposent des bons outils pour trouver le succès. Les professionnels en première ligne devront associer les avancées technologiques à leurs propres compétences en intelligence émotionnelle pour devenir de vrais ambassadeurs de marque, ce qui va bien au-delà de la plupart des descriptifs de poste actuels. Les vendeurs de demain devront avoir les compétences pour manifester leur expertise de façon créative, une profonde empathie, la capacité à inspirer confiance et de la générosité afin de créer des contacts productifs avec les clients.