L’industrie diamantaire a évolué d’un environnement relativement stable à un environnement très incertain. À partir de 2019, les synthétiques destinés aux bijoux entreront dans une phase de croissance, a indiqué ABN Amro Bank dans un rapport.
Selon ABN Amro, le lancement par De Beers de sa gamme de bijoux en synthétiques «a de graves conséquences pour les acteurs de l’industrie diamantaire. Les acheteurs de diamants naturels, comme les détaillants, les consommateurs et les fabricants de bijoux» vont probablement réduire leurs stocks.
S’ensuivront une baisse de la demande de diamants naturels et des conséquences sur les prix. Les miniers repenseront leur stratégie au vu des incertitudes de la demande de diamants naturels et des questions sur la valeur d’un diamant. Les producteurs de synthétiques se concentreront probablement sur la technologie pour moins dépendre de l’énergie ou utiliseront des sources d’énergie plus durables, afin d’augmenter leur gamme de produits et d’abaisser les prix des synthétiques utilisés pour les bijoux. Les consommateurs profiteront de variétés de diamants plus nombreuses, à des prix plus attractifs.
Le rapport de ABN Amro indique :
Fin 2017, nous avions publié le rapport suivant : Perspectives du secteur diamantaire – Rien n’est éternel – 2e partie… Dans ce rapport, nous en avions conclu que l’industrie diamantaire était passée d’un environnement relativement stable à un environnement très dynamique. Les miniers et les acheteurs de brut ont adopté différentes stratégies pour affronter le nouvel environnement. Les grandes sociétés minières ont choisi des stratégies de contrôle (comme les niveaux d’acceptation des acheteurs, la vente de machines de détection de synthétiques) et sont prêtes à ce que les synthétiques jouent un rôle plus important.
Le 29 mai, De Beers a lancé Lightbox Jewellery, une marque de bijoux en synthétiques. Cela a ébranlé l’industrie. Les synthétiques de qualité menacent le modèle d’activité des miniers, encore plus qu’avant. D’où de nombreuses incertitudes dans l’industrie diamantaire. Si 2018 a été l’année du lancement officiel des bijoux en diamants synthétiques, devenus un produit acceptable, qu’apportera 2019 ?
Le concept des synthétiques n’était pas nouveau. Ceux-ci servaient déjà à des fins industrielles. D’ailleurs, 99 % des diamants industriels sont des synthétiques. Les synthétiques existent déjà depuis quelques années (également dans les bijoux) mais avec l’annonce de Lightbox par De Beers, ils sont devenus plus légitimes. Et il y a à cela plusieurs raisons. Pour commencer, De Beers s’est retrouvée plusieurs fois au tribunal afin que son unité Element Six (qui conçoit, développe et produit des synthétiques) détienne la technologie. Pendant un certain temps, De Beers est parvenue à limiter la concurrence parce qu’elle détenait la technologie des synthétiques. Récemment, de nouveaux producteurs ont pu aussi produire des synthétiques.
Par conséquent, la concurrence technologique au niveau des synthétiques s’est envolée. La technologie a aussi rapidement progressé. Non seulement les producteurs de synthétiques peuvent produire de plus grosses pierres qu’avant (avec plus de carats) mais aussi des pierres de meilleure qualité (meilleures pureté et couleur, par exemple). De plus, l’acceptation semble augmenter chez les consommateurs, probablement motivés par l’idée que les synthétiques sont plus durables et que le rapport qualité/prix pourrait être plus attrayant. Dans notre rapport de décembre 2017, nous établissions que les synthétiques sont en effet plus durables (même si c’est probablement moins que les revendications de l’industrie) que les diamants naturels extraits au moyen de grandes opérations minières et de l’extraction artisanale. Les principaux coûts pour les synthétiques sont liés à l’énergie. Si des producteurs de synthétiques parviennent à trouver des sources d’énergie plus durables, les synthétiques deviendront encore plus durables. Pour que les diamants naturels soient compétitifs en termes de développement durable, les sociétés minières vont devoir révolutionner davantage leurs procédés d’extraction.
Pendant longtemps, les sociétés minières et la plupart des membres de la chaîne d’approvisionnement des diamants ont fortement résisté à l’arrivée des synthétiques dans l’industrie en général. En réalité, l’emploi des synthétiques était tout sauf transparent. Des rapports ont signalé qu’ils étaient mélangés à des diamants naturels ou que des synthétiques étaient associés à un certificat de diamants naturels issu d’un laboratoire. Le lancement de Lightbox Jewellery par De Beers a donc choqué l’industrie. Aujourd’hui, les paris sont ouverts. Pour nous, 2018 a été l’année où les synthétiques ont trouvé leur place dans l’industrie de la joaillerie. Il s’agit de la première phase (l’introduction) du cycle de vie du produit.
La phase de croissance des synthétiques dans les années à venir
Selon nous, en 2019 et 2020, les synthétiques vont décoller et passer de la phase d’introduction (2018) à une phase de croissance. Leurs producteurs ont pu créer des diamants de grosseur et de qualité supérieures. De plus, davantage de sociétés et de membres de l’industrie diamantaire sont prêts à sauter le pas des synthétiques. Ainsi, New Diamond Technology LLC, une société russe, a annoncé avoir produit un synthétique de 103,50 carats. Il s’agit de la plus grosse pierre de laboratoire jamais créée.
De plus, Lightbox prévoit de vendre ses bijoux en diamants synthétiques, non seulement sur son propre site Internet mais aussi, a-t-elle dit, grâce à des partenariats avec des détaillants en ligne et en magasin. À l’avenir, il y aura très certainement une plus grande variété de couleurs. Lightbox et certains autres fournisseurs de synthétiques (bijoux) ont décidé de se tenir éloignés du secteur des bijoux de mariage ou des bagues de fiançailles (pour l’instant). Nous pensons que les bijoux de mariage en synthétiques devraient bientôt faire partie de cette offre.
Cette nouvelle phase aura un impact direct sur la stratégie des acheteurs…
De Beers continue à axer sa stratégie sur la différenciation entre diamants naturels et synthétiques. Elle entend s’assurer que la hausse de la demande de synthétiques, passant par Lightbox, ne cannibalise pas la demande de diamants naturels. Les effets des synthétiques se sont déjà faits sentir sur les pierres de grade et de qualité inférieures, ainsi que sur les articles les plus petits. Or, ce n’est pas là que se génèrent les marges. Les pierres de qualité et de grosseur supérieures offrent des marges plus attrayantes. Mais les marges sur les pierres de qualité les plus grosses connaissent déjà des pressions. Actuellement, on extrait un nombre important de gros diamants naturels (grâce à un processus d’extraction amélioré) et cela pèse sur les prix, puisque les pierres sont jugées moins rares qu’auparavant.
Par ailleurs, l’industrie diamantaire semble croire que ces pierres de qualité et de grosseur supérieures ne connaîtront pas de concurrence sérieuse de la part des synthétiques. Selon ABN Amro, au vu de l’emploi de la technologie et des marges attrayantes de ce secteur, ce n’est qu’une question de temps avant que les grosses pierres ne soient aussi confrontées à la concurrence des synthétiques. Il est probable, voire recommandé, que le stock de diamants naturels baisse car la future valeur des diamants naturels est l’objet d’une forte incertitude. Par conséquent, les négociants et autres acheteurs vont probablement conserver des stocks moindres et se montrer moins agressifs dans leurs achats de diamants. De plus, les maisons de joaillerie décideront si elles souhaitent proposer ou non des bijoux en synthétiques. Si c’est le cas, elles risquent aussi d’ajuster leur offre de bijoux en diamants naturels. Et il est probable que la demande de diamants naturels baisse.
… et sur les fabricants de diamants
Les fabricants tailleront des diamants naturels et synthétiques. La taille des synthétiques pourrait être légèrement différente selon la structure de croissance cristallographique (plate, cubique ou octaédrique). La plupart des diamants naturels affichent une structure de croissance octaédrique ou dodécaédrique. Un diamant naturel octaédrique sera divisé en deux, donnant une grosse ronde taille brillant et un petit brillant. Si la forme de croissance est cubique, il existe d’autres possibilités de taille. En résumé, les compétences du tailleur seront améliorées lors de cette nouvelle phase de croissance.
Les miniers vont devoir repenser leur stratégie
Les miniers disposeront de différentes stratégies pour affronter l’essor des synthétiques. Premièrement, ils pourraient accélérer l’activité d’extraction pour profiter de leurs réserves de diamants. Dans quelques années, rien ne dit si les diamants naturels conserveront leur valeur, comme on l’a toujours cru. Certains producteurs et/ou pays ont indiqué qu’ils accéléreraient la production à l’avenir. De Beers prévoit d’atteindre de 35 millions à 36 millions de carats pour 2018. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis 2008. En 2019, la production va probablement baisser pour des raisons techniques mais le résultat pour 2020 et 2021 devrait dépasser le niveau de 2018. De plus, l’Angola a annoncé un doublement de sa production. On ne sait pas si l’accélération de la production est liée au développement des synthétiques. Toutefois, ALROSA a indiqué qu’elle ralentirait son offre en 2019 pour éviter d’inonder le marché.
Deuxièmement, les miniers pourraient arrêter d’explorer de nouvelles mines car les coûts élevés risqueraient de ne pas être remboursés à l’avenir. Qui plus est, ces dernières années, davantage de gros diamants de qualité supérieure ont été découverts. Cela a limité leurs prix. De plus, il semble que le prix des petits diamants et des diamants moins recherchés baisse car ils ne peuvent pas concurrencer les synthétiques. Ces diamants vont donc perdre de leur attractivité. Les qualités raisonnables et les grosseurs supérieures à 0,5 carat conserveront de la valeur.
Mais si les clients devaient bientôt préférer les bijoux en synthétiques, cela pèserait sur la demande de diamants naturels. Les consommateurs obtiendront probablement des pierres de qualité et de grosseur supérieures pour le même montant. Il est donc probable que les diamants naturels perdront de la valeur en raison d’une baisse de la demande.
Troisièmement, les miniers pourraient lancer des synthétiques ou s’associer à un producteur de synthétiques. Selon nous, cela augmentera leurs chances de survie.
… et les producteurs de synthétiques devront faire face à une concurrence plus solide
Les producteurs de synthétiques disposent également de quelques stratégies pour survivre dans cet environnement hautement incertain. Premièrement, ils peuvent garantir leur approvisionnement en électricité et notamment trouver des sources d’énergie moins chères et plus durables. Cela leur permettra de produire moins cher et ainsi d’améliorer leur compétitivité. De plus, avec des sources d’énergie plus durables, ils pourront lutter contre l’idée qu’ils ne sont peut-être pas aussi durables que l’on pense.
Deuxièmement, les producteurs de synthétiques peuvent se concentrer sur la technologie. Cela pourrait réduire les coûts de production et d’énergie et permettre une gamme de produits plus large. Cette gamme élargie inclurait des pierres de grosseur supérieure, des pierres de qualité supérieure et un plus vaste éventail de couleurs. Si un producteur de synthétiques était en mesure de produire une gamme de produits plus large, il pourrait se concentrer sur une niche, voire proposer la gamme complète. En bref, cela lui assurerait de nouvelles stratégies de survie.
Troisièmement, les producteurs de synthétiques peuvent améliorer leur distribution, par exemple en élaborant un site Internet sophistiqué et/ou en s’associant à des marques et boutiques de bijoux. Augmenter les canaux de revente des synthétiques est également un point important pour survivre.
Quatrièmement, ils peuvent proposer des synthétiques pour des bijoux de mariage à des prix plus attractifs. De Beers n’a pas encore emprunté cette voie pour éviter de cannibaliser la vache à lait des diamants naturels (les bijoux de bridal). Cela pourrait freiner Lightbox à l’heure actuelle mais pas les autres producteurs de synthétiques, sauf si leur technologie de production est liée à celle d’Element Six. L’industrie diamantaire est en plein mouvement et ses forces changent à un rythme effréné. De Beers est bien positionnée pour suivre la trajectoire de l’industrie, mais pas nécessairement pour s’adapter à la phase finale.
Les prix des diamants vont baisser…
Chez ABN Amro nous pensons que les prix du brut et du taillé vont baisser pour diverses raisons. Premièrement, les acheteurs de diamants naturels vont revoir leurs achats à la baisse, voulant probablement réduire leur stock et le maintenir ainsi. Étant donné les incertitudes quant à la demande de diamants naturels et à la stabilité de leur valeur, les acheteurs risquent de se montrer plus prudents.
Deuxièmement, il est probable que certains acheteurs de diamants naturels, y compris des maisons de détail, vont vouloir proposer une plus vaste gamme de diamants, incluant des diamants naturels et des synthétiques. Cela va peser sur le budget d’achat des diamants naturels.
Troisièmement, le pouvoir des miniers diminue en raison d’une hausse des incertitudes. Un marché de type oligopole, comme on le voit dans l’industrie diamantaire, ne convient pas lorsque l’environnement est incertain. Cet environnement va probablement se transformer et accueillir davantage de concurrents et une concurrence plus féroce.
Quatrièmement, si les consommateurs sont plus attirés par les synthétiques pour leurs bijoux, cela va également faire baisser la demande de certaines catégories de diamants naturels. Et si les synthétiques peuvent entrer en concurrence avec les diamants naturels de grosseur et de qualité supérieures, cela ajoutera probablement des pressions sur les prix du brut et du taillé naturel. Il est probable qu’une meilleure acceptation des diamants synthétiques entraîne une meilleure synchronisation des prix du brut et du taillé car le pouvoir de l’offre/des miniers se décalera vers les acheteurs et parce que la concurrence augmentera.
Enfin et surtout, nous pensons que les prix des synthétiques vont baisser. La hausse de la production et l’amélioration de la technologie vont agir dans ce sens.
… Les consommateurs seront les gagnants
En tant que ABN Amro sommes d’avis que les consommateurs sont les grands gagnants. Ils pourront acheter des diamants à des tarifs plus attractifs. Mais ils doivent aussi comprendre que les synthétiques n’ont pas de valeur type investissement. En outre, les synthétiques assureront aux consommateurs des pierres de grosseur et de qualité supérieures, à des prix plus abordables. De surcroît, les consommateurs profiteront d’une gamme de couleurs plus accessible.